vendredi 8 juin 2012

Chapitre 6

Le lendemain matin, je retrouve ma mère appuyée contre l'évier, une tasse et les nouvelles à la main. Je m'approche du frigo pour y prendre du lait, sans dire un mot. Depuis l'histoire d'y hier, je n'ose ni lui adresser la parole, ni la regarder dans les yeux.
Elle me cache quelque chose. Elle me ment. Ma mère n'est, définitivement, plus la même à mes yeux. Ce changement n'est, aucunement, dû au décès de Peter, elle dissimule cette boîte depuis un bout de temps. Qu'y a t-il de si compromettant ? Devrais-je écouter mon père et aller vivre avec lui ? Pour une fois, il n'avait rien inventé. Cette histoire devient trop mystérieuse pour moi. J'en perds le fil. J'ai 16 ans, je ne dois pas m'en occuper. Des adultes sont là pour résoudre l'affaire. J'ai des études à poursuivre, l'amour,...Mais cette boîte titille ma curiosité. Je veux savoir ce qu'elle contient.

"Mon coeur, fais attention, tu renverses du lait sur la table.
Plongée dans mes songes, je n'ai pas remarqué les bêtises que je faisais.
-Je suis désolée maman.
Je ne sais pas si je m'excusais d'avoir fouillé dans ses affaires personnelles ou du trop-plein de lait, sur la table.
-Tout va bien ma chérie. Ça arrive à tout le monde ce genre de chose. De toute manières, en ce moment avec toutes ces histoires, tu es un peu déboussolée, n'est-ce pas ?
-Non, je vais bien., je réponds un peu trop froidement.
Elle n'en tient pas cas.
-Si tu veux en parler, je suis là, tu le sais. On s'est toujours tout dit, non ?
Elle me sourit. J'ai l'impression de voir un sourire hypocrite. Tout explose en moi. J'ai envie de hurler, de demander des explications franches et sur le champ mais tout ça reste bien enfoui. J'ai envie de chercher, seule, de mon côté. Je préfère mentir. N'est-ce pas la spécialité de la maison ?
-Si je n'allais pas bien, tu le saurais.
Ma mère ne semble pas me croire mais qu'importe, elle veut jouer à ce petit jeu, je veux bien l'accompagner.
-Bon, je vais arriver en retard.
 Elle range sa tasse dans le lave-vaisselle.
-N'oublie pas de nettoyer la table avant d'aller en cours., me rappelle-t-elle en agitant son bras, laissant s'entrechoquer ses bijoux.
Un dernier baiser sur le front, ma mère s’éclipse rapidement. Moi, je n'ai qu'une idée en tête : résoudre cette affaire au plus vite.


*

Au lycée, devant mon casier, je retrouve Mary adossée. Je devais lui présenter mes excuses mais les évènements précédents m'en ont empêché.
"Salut., je lance timidement.
Elle ne me répond pas. Je soupire.
-Tu vas bien bien ?, je continue, comme si je ne portais pas cas à son mutisme embarrassant.
Toujours pas de réponse. Je dépose mes livres de l'après-midi et referme la porte du casier.
-Je m'excuse. , je dis.
Elle tourne son regard vers moi, il a l'air effrayé. Que s'est-il encore passé ?
-Mary ?
Je suis soucieuse.
-Ce n'est pas à toi de t'excuser, tu sais. Je m'occupe trop de tes histoires.
-Que se passe-t-il ?
-Je suis désolée. Tu es grande, alors, tu fais ce que tu veux avec Tim.
Sa voix est trop aiguë. J'insiste :
-Que se passe-t-il ?
-Dorénavant, je ne m'occuperai plus de tes histoires.
Elle essaie d'éviter mes question.
-Je m'enfous de ça ! Tu vas me dire ce qu'il ne va pas, oui ou non ?
Une larme perle sur sa joue. Elle ne pleure quand même pas pour cette histoire ?
-Ils sont revenus , Emy.
-Qui ça...
Je devine avant de finir ma question. Ses parents biologiques, bien sûr.
-Ils ne peuvent rien te faire Mary., je tente de la rassurer.
Elle peut craquer, telle une bombe à retardement, d'une minute à l'autre.
-Tu crois ? Ils sont bien capables de tuer Harry et me kidnapper à nouveau.
-Ils ont un bracelet, tu te souviens ?
Elle opine du chef. 
-Ils ne s'approcheront pas de toi, je peux te le garantir. Mais si tu veux, ce soir, tu peux dormir chez moi.
-Je pourrai venir, moi aussi ? , demande une voix familière.
Sacha est de retour parmi nous.
Je remarque que la détention ne lui a pas fait perdre son look, si particulier. Rebelle selon elle. Jusqu'à l'âge de 14 ans, ses cheveux étaient soyeux et d'un blond vénitien resplendissant. Si vous ne l'aviez pas connu avant le lycée, vous ne savez pas trop qu'elle est sa couleur naturelle. Passant du brun avec mèches violettes au violet aujourd'hui, ces cheveux ont eu droit à toutes les couleurs existantes sur cette Terre. Et je ne parle pas de son corps qui est parsemé de tatouages. Elle en fait un à chaque anniversaire. Bientôt, la peau de son visage sera la seule partie vierge.
Il se trouve qu'elle ne respecte pas non plus le dress code, imposé pas l'établissement. Ici, les élèves ont l'obligation de porter un uniforme : Une veste en laine, avec le blason de l'école, une jupe pour les filles ou un pantalon, pour les garçons, un chemisier ou une chemise blanche et des chaussures de ville. Sacha, elle, mélange les deux, même si cela reste très féminin. Elle porte toujours notre veste et le chemisier mais avec une cravate lâche et un pantalon. Le code vestimentaire selon Alexandra Anderson.
Je n'ai pas besoin de vous préciser que celui-ci ne plaît pas au conseil d'administration. Mais personne n'ose contredire la fille de la maire, qui dirige la ville d'une main ferme. Cela a du bon d'avoir le bras long.

"Vous allez bien ?
Elle avait cette façon de faire comme si rien ne s'était passé. Pour Sacha, la vie continue malgré les obstacles.
-Non...Si tu proposes  à Mary de venir chez toi...Ses parents ?
-Oui et tu pourras venir. Tu en profiteras pour tout nous raconter.
-Raconter quoi ?
-Les raisons de ton arrestation et ton petit séjour.
-Ah oui ...
Soudain, une voix s'élève des haut-parleurs grésillant. Celle de la secrétaire: 
"Alexandra Anderson et Emily Urbefives sont demandées dans le bureau de Miss Pester."
Miss Pester ? De la famille ? Sacha me jette un regard interrogatif.
-Je vous promets, je n'ai rien fait. ,s'empresse de dire Sacha.
-C'est une nouvelle directrice, elle veut sans doute te voir pour...
-Me renvoyer ?, s'exclame-t-elle.
En dessous de ce personnage, se trouve une fille vulnérable et touchante. Il est donc normal de la voir inquiète pour son avenir, même si elle l'avait cherché. Si Pester-homme acceptait toutes ses outrances, ce n'était , peut-être, pas le cas de Pester-femme.
-Non, on verra, viens.
Je me retourne vers Mary qui nous préviens :
-Je ne sais pas combien de temps elle va vous tenir en otage donc, on se rejoint à la cantine.
-Ok.
Mary se détache des casiers pour rejoindre le cours de français tandis que Sacha et moi rejoignons le bâtiment administratif.
Je traverse ce dernier avec une boule au ventre. La scène de crime y est encore délimitée et je revois le corps démembré de Henry Pester. Soupçonner ma mère d'être impliquée me fait frissonner.
Arrivées à la porte du bureau, je frappe trois coups. Avant que la nouvelle proviseur ne réponde, je jette un regard furtif vers mon amie. Elle se ronge les ongles, signe d'anxiété chez elle. J'ai envie de la rassurer mais une voix nous ordonne de rentrer dans le bureau.
Nous pénétrons dans la pièce circulaire qui n'a plus aucune trace de vie de l'ancien occupant. Alors que Henry Pester aimait décorer son bureau avec des oeuvres d'art, la directrice préférait accrocher des photos et des cartes géographiques (comme si elle préparait un plan d'invasion). 
Un bruissement de page me fait tourner la tête. Sur un fauteuil , était assise une jeune fille. Cette même fille que j'ai vue à la cérémonie d'adieu. Elle lève les yeux vers moi, rougit et reprends sa lecture. Sans doute timide.
Face à nous, une jeune femme, à peine la trentaine, écrit de la main gauche. Je note, ici, un autre point commun avec moi.
"Les gens vont croire que je fais partie de la famille Pester.", je m'amuse à penser.
"Vous pouvez vous asseoir., nous invite-t-elle sans lever la tête de sa feuille.
Nous nous exécutons et patientons quelques minutes avant qu'elle ne se redresse. De près, elle paraît trop jeune et douce pour tenir tout un établissement,à bout de bras.
-Je vous ai appelé pour discuter un peu.
Sacha pousse un soupir de soulagement.
-Avant que ne vous demandiez, oui, je suis une soeur de Henry.
Mr Pester ne m'avait jamais parlé d'elle. J'ai toujours pensé qu'il était fils unique. Et qui est cette fille ,derrière moi, qui lui ressemble tellement ? Des mystères. Toujours des mystères.
-Mais ce n'est pas le sujet.
Elle regarde Sacha et continue :
-J'ai lu ton dossier. 
Le visage de mon amie devient cramoisi.
-Tout va bien jusqu'en fin troisième, même si tu as commencé tes transformations avant.
Ils mettent ce genre d'information dans nos dossiers scolaires ?
-Puis tes notes ont commencé à dégringoler. Tu as accumulé rapports sur rapports et tu as été très souvent renvoyées. Je voudrais en connaître les raisons. Tu as un potentiel...Euh... -elle jette un coup d'oeil à sa droite- Alexandra. Mais ces égarements t'en empêche. Tu redoubleras, s'il le faut, mais on fera tout pour tu reviennes à ton niveau.
Je reconnais là, une particularité de son frère : Toujours chercher le bon côté des élèves pour qu'ils s'en sortent.
-Tu as compris ?
Sacha acquiesce et baisse les yeux vers ses chaussures.
Par contre, la proviseur est la première personne à ne pas subir ses répliques cinglantes et à la rendre mal à l'aise.
-Bien, tu peux t'en aller. Je te convoquerai avec tes parents...Si c'est possible.
La directrice regarde derrière nous.
-Un instant, s'il vous plaît. ,intervient un homme.
Le visage de Sacha passe par toutes les couleurs. La voix de l'homme, qui vient de rentrer, tout le monde la connaît. Les Etats-Unis, peut-être même le monde entier. Cette voix cassante et froide. James Anderson, le grand patron du FBI. Que faisait-il là ?
-Bonjour ma chérie. dit-il à Sacha.
-'jour.
Non, je me suis trompée, Miss Pester n'est pas la seule. Sacha a toujours été impressionnée par son père, même s'ils ne se voient pas souvent.
-Que voulez-vous ?
Il sourit- une rareté chez lui- et explique sa présence :
-Ce que je veux ? Je reprends l'enquête, voyons.